Esther Abumba, la boule d’énergie du slam congolais

Artiste slameuse en quête de professionnalisation, Esther Abumba est le porte étendard de cette génération de ces artistes qui défendent les droits des femmes dans l’Est de la RDC. Par sa plume, elle parle aussi de la justice sociale et offre l’espace à ses collègues, où elles s’expriment par le bais de Musika Na Kipaji, le seul festival 100 % féminin au Congo qu’elle coordonne.
Dans la grande interview de TA, Esther s’est présentée rayonnante. Ses dreadlocks bien soignés, sa combinaison vestimentaire mêlant africanité et modernité et ses pairs Samba ont illuminé la salle d’exposition de la galerie Vichwa, lieu de prédilection pour les échanges. Dans ce décor plaisant, elle n’a pas tardé à expliquer sa rencontre avec le slam en 2019. « Avant d’entamer la carrière de slam poésie, j’étais une petite écrivaine chez moi. Je lisais aussi », a-t-elle dit. C’est son frère, Elisha Abumba qui, après être tombé sur ses paperasses, la conduit au collectif Goma Slam Session. L’objectif est de l’aider à se perfectionner aux côtés de ceux qui maîtrisent déjà cet art.
« Je suis une boule d’énergie »
Accueillie et adoptée par cette tanière des poètes et rappeurs, Esther continuera à apprendre auprès de son frère, lui aussi artiste slameur. Ils formeront un duo sur scène avant que Esther décide de voler de ses propres ailes. Son premier texte marquant restera « Je suis une boule d’énergie », qui conduira même plusieurs personnes, même dans la rue, à l’appeler au nom de ce texte. « Beaucoup de gens ont admiré ma démarche artistique vu que j’aborde les thématiques liées aux droits de femmes et à la justice sociale », a expliqué l’artiste, âgée actuellement de 22 ans.
Par la suite, Esther se fera un nom dans la ville grâce à ses participations dans différents projets et ses prestations remarquées lors des soirées slam, organisées par son collectif. Le plus important pour elle, est le projet « Nipe kalamu, apana masasi » (Donne-moi le stylo et non l’arme), qui sensibilisait sur le non recrutement des enfants soldats dans les groupes armés. Elle fera une tournée à Goma, Bukavu et Kinshasa. Sa plus belle expérience de carrière jusqu’à présent est sa participation à la 9e édition du Festival Amani, à Bukavu. « Je n’y avais jamais pensé », a-t-elle dit de cette expérience. « Quand je voyais ce que je faisais, je n’avais jamais imaginé être sur la grande scène du Festival Amani. C’était une très grande expérience pour moi. J’ai eu à rencontrer d’autres grands slameurs du pays et de la région des grands lacs mais aussi ça a été une occasion pour moi de parler de la paix, de sensibiliser encore un très grand public sur les thématiques liées à la cohabitation pacifique dans la région des grands lacs ».
S’il y a eu ces belles expériences dans la petite carrière de Esther, c’est parce qu’elle a su braver les défis qui se sont présentés sur son chemin. « Le plus grand défi pour moi, c’était surtout l’acceptation de la carrière, de la discipline que j’ai eu à choisir, le slam », a avoué l’artiste. « Quand on voit beaucoup de filles artistes, plus particulièrement slameuses, il y a ce changement de mode de vie. Parfois elles s’habillent comme des garçons, elles ont des dreadlocks, elles rentrent tard le soir…tous ces facteurs ont fait que mes parents n’ont pas accepté facilement que je sois artiste ». C’est encore son frère qui va l’aider à combattre ses stéréotypes et à faire comprendre à la famille l’importance du choix de sa petite sœur. « Il était comme un pont qui me permettait de partir et revenir parce que la famille savait qu’il était avec moi tous les jours », a-t-elle reconnu. L’autre défi était le manque de confiance en soi qu’avait Esther. « J’étais trop réticente parce que j’ai rencontré un environnement très nouveau avec les personnes qui avaient une très grande ouverture d’esprit. Moi je me sentais toute petite », détaille-t-elle pour ses premières séances d’apprentissage avec Goma Slam Session.
Musika Na Kipaji, le combat de cœur de Esther Abumba
Esther Abumba n’est pas encore une artiste slameuse bien structurée. Sa phase d’apprentissage, si elle est finie, s’acclimate dans les prestations scéniques qui l’ont amené à prester dans différents pays dont, entre autres, le Rwanda, le Burundi, Le Sénégal ou encore le Benin. Sur sa chaîne YouTube, encore pas prolifique en terme d’audience, elle met ses vidéos scéniques et celles des projets dans lesquels elle prend part. « Dire que je ne me suis pas encore lancée professionnellement, ce n’est pas que je ne veux pas, ce n’est pas que ne suis pas prête mais j’aimerais vraiment me lancer avec quelque chose de très passionnant ».
L’autre combat qu’Esther Abumba mène avec une main de maître, c’est celui d’offrir à la gente féminine un espace d’expression. Depuis 7 ans, avec ses amis, ils ont mis sur pied Musika Na Kipaji, qui reste le seul festival au Congo qui n’accueille sur scène que des filles. Etant coordonnatrice du projet, elle se sent fière du chemin parcouru mais, « cependant, on n’aimerait pas que nos efforts puissent stagner, on aimerait pas nous dire qu’on est satisfait », a-t-elle souligné avant de continuer : « L’idée derrière le festival c’est d’inviter encore plus de filles de la région de grands-lacs, de l’Afrique et du monde entier. Permettre à d’autres filles de Goma de s’émanciper, d’exploiter leurs potentialités et de rencontrer les grands modèles féminins, des femmes artistes qui ont eu à inspirer le monde ».
Se basant sur ses 5 ans dans le monde artistique et culturel congolais, Esther connait quelque peu les rouages de l’industrie, surtout pour les filles et femmes qui ont choisi ce chemin. Pour elle, « être une artiste féminine en RDC, je dirais c’est une grande responsabilité parce qu’être artiste, c’est à la fois être passionnée et être responsable mais aussi être engagée ». Toutefois, elle est ravie que le slam soit bien connu et compris qu’il y a dix ans mais, « les slameuses ont besoin de structures pour permettre de les booster. Qu’elles fassent des tournées artistiques pour faire entendre leurs voix, qu’elles soient autonomes financièrement grâce au slam », a-t-elle ajouté.
Inspirée par les figures locales comme Madame Modestine et Esther Ntoto, Esther Abumba a vu son premier projet de l’année 2025 être interrompu pour des raisons sécuritaires et politiques qui frappent sa ville. « Je suis obligée de rester silencieuse pour le moment vu la démarche artistique dans laquelle je m’engage », s’est confiée la slameuse. On espère que tout redeviendra normal et qu’Esther continuera son bonhomme de chemin avec son énergie qui la caractérise.
A propos de l'auteur
Force à toi @Esther Abumba continue de faire le job tu inspire tant d’autres personnes par ton art 😊
Force et courage à toi Esther Ab. Tu es fierté pour cette génération. Que ta plume ne cesse d’émouvoir encore plus…..
J’ai vu l’esprit et l’art d’Esther a travers la scene a Goma Slam Session, mais aussi dans son travail de volontariat avec AGIR-RDC parmi des ecoliers et les deplaces qui s’hebergaient a Goma depuis bientot quatre ans. Elle a du coeur et beaucoup de talent. Une lueur d’espoir !