Édito / RDC – Changement de la constitution : vers un drôle d’auto-coup d’Etat ?

Tout dépend de si nous sommes dans un État normal ou pas. Mais, le simple fait d’engager cette discussion prouve que la République Démocratique du Congo ne renoncera jamais à son statut d’Etat Suigeneris, typique à un État qui n’admet aucune théorisation et qui n’a de sosie que lui-même.
Le changement de la constitution, puisque c’est de lui qu’il s’agit, étant lui-même constitutionnellement impossible, il est toutefois surprenant de voir que les congolais en font un débat de prestige. Comme qui dirait : Au Congo, tout est possible. Tout peut être débattu, y compris ce qui ne peut l’être.
Qu’on s’appesentisse sur le concept clé « Changement« . Afin de mesurer le degré d’irrationalité de la société politique congolaise qui, sans aucune décence, s’evertue à engager le débat sur le « changement » de sa constitution.
Guerre de mots !
Deux vocales entrent en conflits dans le débat public actuel en République Démocratique du Congo. Au moment où certains se camouflent derrière le mot « changement« , d’autres se réfugient derrière le concept « révision » pour finalement exprimer une même chose. Le ministre Julien PALUKU lui n’y est pas allé par le dos de la cuillère. Pour l’ancien Gouverneur du Nord-Kivu, « il faut impérativement un changement de la constitution, et donc un basculement vers la 4 ème république ».
Cependant, d’autres leaders de l’Union sacrée parlent de la « révision« , en détaillant même les articles pouvant faire l’objet de cette « légère retouche« , à l’instar de Jean Pierre BEMBA, l’actuel ministre des transports. À l’opposition, l’on subodore déjà les intentions de Félix TSHISEKEDI de briguer un troisième mandat.
Changement, voulant vocabulairiquement dire « remplacement d’une chose par une autre« , cela insinuerait que le clan TSHISEKEDI voudrait systematiquement en finir avec l’actuelle constitution, pour en « proposer une nouvelle« . Une procedure qui n’est ni juridiquement, ni politiquement possible. On le verra plus tard.
La Révision quant-à elle voudrait simplement dire « modifier quelque chose. Y ajouter ou soustraire des nouveaux éléments, afin de la parfaire« , en des termes bénins. Cette procédure est autorisée par la constitution du 18 Février en son article 218.
Il ressort de ces analyses préliminaires, typiquement « syntaxiques » que les deux vocables sont diamétralement opposés dans la substance.
Eclusiers juridiques
La constitution de la RDC prévoit elle-même les mécanismes de sa « revisitation« . Elle n’a, en revanche jamais prévu, ouvertement le mécanisme de sa propre fin, et donc de son remplacement par une autre. Dans ce sens, les démarches des thuriféraires de son « changement » sont donc infondées et de nul effet.
Neamoins, la Constitution du 18 Février 2006 autorise, laconiquement son propre changement. Peut-on ainsi déduire que, comme le droit constitutionnel n’est pas d’interprétation stricte à l’instar du droit criminel, par « révision definitive art 218« , l’allusion est faite au « changement« . Ce qui pourrait constituer une bouffée d’air pour les adeptes du changement de la constitution.
Sauf que, la même constitution limite les matières pouvant faire l’objet de révision, qu’elle soit partielle ou définitive. Il s’agît de la forme Républicaine de l’Etat congolais, le principe de suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République , l’indépendance du pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical ainsi que toute révision tendant à réduire les droits et libertés de la personne ou réduire les prérogatives des provinces et des Entités Territoriales Décentralisées.
Du coup, le fait est que, la constitution du 18 Février 2006 rend elle-même impossible sa révision définitive ou son changement par une autre. D’où son caractère extrêmement rigide, sans doute né des velléités politiques d’à l’époque de sa rédaction, où chaque belligérant voulait tirer profit d’une brèche constitutionnelle pour se tailler la part du lion. Le constituant, dans son génie conjoncturel, a donc décidé de verouiller.
Eclusiers legalo-spirituels
MONTESQUIEU disait » Il existe des lettres d’une loi et l’esprit d’une loi ».
Respecter la constitution comme loi suprême est une chose. En cerner l’esprit est une autre. Dans le cadre de cette réflexion, il me serait scientifiquement minimaliste de ne pas remonter au contexte de l’élaboration de la constitution de la 3 ème république, afin d’en cerner l’esprit, l’essence et par la mesure du possible, en cadriller la substance.
La constitution de la 3 ème république a été verouillée par le constituant pour « RESISTER« . Étant donné les remous politiques d’à l’époque (un pays quasiment coupé en 4 avec des belligérants aux ambitions politiques expensionnistes et boulimiques), le constituant avait jugé idoine de poser les verrous sur le texte, en rendant quasiment impossible tout changement ultérieur.
Ces eclusiers legalo-spirituels s’affirment éloquemment dans l’exposé de motif de la constitution du 18 Février 2006. « Pour préserver les principes démocratiques contenus dans la présente Constitution contre les aléas de la vie politique et les révisions intempestives, les dispositions relatives à la forme républicaine de l’Etat, au principe du suffrage universel, à la forme représentative du Gouvernement, au nombre et à la durée des mandats du Président de la République, à l’indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme politique et syndical ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle« , peut-on lire dans le prélude du texte proprement-dit.
L’intention du peuple congolais est donc d’éviter toutes les révisions intempestives de sa constitution. Ce, pour éviter des abus des pouvoirs et des crises institutionnelles qui peuvent en découler. Autrement-dit, le peuple congolais ne voudrait pas que sa constitution soit prise comme un paillasson pour les régimes, selon qu’ils se succèdent.
Eclusiers conjoncturels
La constitution du 18 Février 2006 a été prévoyante, en ce qu’elle a prévu elle-même les contextes dans lesquels elle pouvait faire l’objet d’une révision ou pas. Elle a à cette occasion exclu toute modification en période de guerre, à l’état de siège, d’urgence ou même pendant l’intérim du Président de la République…(art 219).
À cet effet, il résonne comme « anormal« , qu’à l’état actuel de la République Démocratique du Congo, des discussions autour du changement ou de la révision de la constitution fasse la Une des débats publics. Au moment où le pays est, non seulement en guerre, mais aussi une partie de son territoire sous état de siège.
Accordons-nous que l’état de siège peut être levé d’un temps à autres, mais qu’en est-il de la guerre d’occupation qui s’étend sur quasiment tout le Grand Kivu et la province de l’Ituri ?
Il n’existe pas d’état de guerre dès lors que rien de tel n’a été déclaré par le Président de la République, retorqueront sans doute les pro-changement de la constitution. Ce, en oubliant que, tel que nous l’avions soulevé dans l’une de nos précédentes tribunes : « Des nos jours, les états de guerres se constatent plus qu’ils ne se déclarent. » Il ne suffit donc pas de déclarer la guerre pour se dire être en guerre.
En plus, l’interprétation de Constantin YATALA de l’article 219 versifie parfaitement avec la nôtre. « On peut déduire de cette disposition que c’est en temps normal que l’on peut procéder à la révision constitutionnelle et non en période des troubles« , avait minutieusement réfléchi le Docteur en Droit dans une tribune libre.
Il est donc « anormal » qu’un débat sur le changement ou la révision de la constitution se nourrisse dans une période où la RDC ne cesse de céder des terres aux rebelles du M23, pour ne citer que ceux-là. Le pays étant en guerre ( en troubles), aucune initiative de révision ou changement constitutionnel ne devrait animer les débats publics.
Eclusiers politiques
Le droit est né pour limiter les actions politiques tendant vers les abus. Étant donné que le pouvoir enivre ses détenteurs, il fallait bien un instrument qui soit à même de limiter leur degré de nuisance. C’est dans cette optique que le droit (les lois) s’est imposé comme frein aux abus du pouvoir.
Sauf que, la politique parvient toujours à phagocyter le droit et se créer un boulevard d’expression autonome. Et c’est à partir délà que l’Etat de droit résonne comme une fiction qui n’a de laboratoire que dans l’imaginaire collectif.
En RDC, c’est encore pire. L’action politique est souvent libre, non encadrée par les lois. Les dépositaires des pouvoirs politiques se moquent royalement de que disent les textes par rapport aux initiatives politiques qu’ils entreprennent. D’où les interminables violations des lois.
En ce qui concerne le sujet sous examen dans cette tribune, l’on peut déjà subodorer une autre énorme violation de la loi, qui pourrait aller jusqu’à un nouveau phénoméne : UN AUTO-COUP D’ETAT.
Explications
Ce concept n’explique rien en gros, mais il nous a paru le plus concordant à notre construction théorique, afin d’expliquer ce qui pourrait arriver si le régime actuel s’obstine à « CHANGER » la constitution.
Premièrement, étant donné que juridiquement cela est « impossible« , les seules options qui s’offrent sont éminemment « politiques« . Sauf que, cela s’avère également « impossible« .
La pratique récurrente est telle que, « avant de remplacer une constitution par une autre, on la suspend d’abord. Tel est le cas des nouveaux régimes putschistes qui, une fois débarqués au pouvoir par les moyens inconstitutionnels, suspendent premièrement les constitutions en cours, avant d’initier une transition politique, menant soit vers la rédaction d’un autre texte ou simplement aux élections des nouveaux animateurs des institutions.
Or, en République Démocratique du Congo, il s’agit d’un régime au pouvoir, qui tente de « CHANGER » la constitution, à partir de la même constitution, sans imaginer une quelconque transition politique. Et pourtant, cela est impossible, d’autant plus que le passage d’une république à une autre impliquerait une transition politique, qui ne devrait plus être conduite par les autorités investies par la défunte constitution (sujette de changement ).
Si, en revanche, Félix TSHISEKEDI et sa famille politique demeurent au pouvoir pendant la procédure du changement de la constitution, et donc après la suspension de la défunte, ils se seront « illégitimés » et « illégalisés« , par le simple fait que la constitution en vertu de laquelle ils ont été investis ne sera plus en exercice. Autrement-dit, Félix TSHISEKEDI aura fait un coup d’Etat contre soi-même. Un auto-coup d’Etat !
La conséquence sera que, le Président de la République sera un président de « FAIT« , le gouvernement également, et même toutes les institutions du pays investies par la défunte constitution. Indifféremment des régimes de fait qui naissent soit des putschs, soit des coups de force (Ex: Les pays de l’Afrique de l’Ouest), le régime actuel ne sera tenu par aucune constitution (en cours de changement) durant toute la période de la rédaction de la nouvelle.
Outre cela, le régime de Félix TSHISEKEDI n’aura plus le droit de se « re-légitimer » automatiquement par la constitution nouvellement rédigée, puisque n’ayant plus mandat légitime. Cela étant, il est bien de reconnaître que la gymnastique tendant d’une constitution a une autre en République Démocratique du Congo est plus dangereuse qu’on ne le pense. Avec un peu de recul, l’on se rend même compte qu’il est impossible de changer une loi suprême par une autre sans suspendre la précédente. Or, suspendre une constitution veut dire coup d’Etat.
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