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Dans « Emprisoned God », 4 danseurs congolais interrogent le passé colonial sur les africains

Dans « Emprisoned God », 4 danseurs congolais interrogent le passé colonial sur les africains

4 danseurs de Goma se sont réunis pour le spectacle « Emprisoned God » qui plonge les spectateurs dans les croyances ancestrales africaines. Après un mois de résidence, ils sont partis en tournée du 15 janvier au 24 Mars 2025, faisant 8 dates en salle pleine en Belgique, dans la région flamande. Cette pièce, chorégraphiée par Lukah Katangila, remet en question les récits religieux imposés aux populations africaines et l’héritage colonial des statues et masques africains confisqués dans les musées occidentaux.

Lukah Katangila a fait appel, après ses recherches, aux danseurs Faraja Batumike, Bienco Hangi et Meschake Lusolo, tous originaire de Goma, pour mettre sur pied « Emprisoned God », qui rappelle que les communautés de « weusi » (les noirs) possédaient une riche culture spirituelle et une profonde compréhension de la nature. Avec l’arrivée des colonisateurs et du christianisme, qui mettaient l’accent sur un dieu unique, a bouleversé ces croyances, créant une dichotomie entre le bien et le mal, ce qui a entraîné l’érosion des pratiques traditionnelles.

Les 4 danseurs ont exploré dans la première partie de la tournée, l’essence de leur histoire personnelle tout en invitant le public dans un monde de mouvement, ou les perspectives évoluent et les dogmes s’estompent. Interview avec Lukah, la tête pensante du projet.

T.A : Comment as-tu as commencé la danse ? Parle-nous de ton parcours !

L.K : J’ai commencé la danse très jeune, dans la rue, comme beaucoup de danseurs en Afrique. Ce n’était pas forcément quelque chose de structuré au début, c’était instinctif, une façon de s’exprimer, de ressentir le rythme, de se libérer. Petit à petit, j’ai compris que la danse venait de mes ancêtres de plusieurs générations. Mes frères furent eux mêmes danseurs avant mes premiers pas sur scène. Pour moi, la danse c’est un langage. J’ai dansé dans les plus grands groupes de danse hip-hop à Goma, participé à des battles, stages, festivals…je me suis formé en autodidacte puis professionnel au 4 coins du globe avec des chorégraphes de renommée internationale. Je suis aussi diplômé de l’Académie Royale des Beaux-arts de Bruxelles à l’Espace Urbain Institut Supérieur des Arts et Chorégraphie. Au fil du temps, j’ai développé ma propre écriture chorégraphique, ma propre technique et vision artistique, ce qui me permet de voyager, de créer et donner des masterclass partout dans le monde.

TA : Qu’est-ce que la danse représente pour toi ?

LK : Pour moi, la danse, c’est la liberté. C’est un moyen de raconter des histoires, de faire passer des émotions là où les mots parfois ne suffisent pas. C’est aussi une forme de résistance, un acte politique, surtout quand on vient de contextes compliqués. C’est une manière de revendiquer notre place, notre voix, notre culture.

TA : Et pourquoi tu as décidé de t’installer en Europe ?

LK : C’était une décision à la fois personnelle, artistique et politique. J’avais envie de confronter mon art à d’autres scènes, d’évoluer, de me challenger. L’Europe peut offrir certaines infrastructures, une visibilité, des rencontres artistiques qui peuvent vraiment faire évoluer un projet. Mais je n’ai jamais quitté mes racines — je porte toujours mon histoire, mon identité avec moi, peu importe où je suis.

TA : Parle-nous de la naissance du projet « Emprisonned God »

LK : Dans « Emprisoned God » (Miungu Gerezani), j’explore les croyances ancestrales africaines, notamment celles des populations d’Alkebulan, l’ancien nom du continent africain. Ces communautés, comme les Wazimu, possédaient une riche culture spirituelle et une profonde connaissance de la nature. L’arrivée des colons et du christianisme, avec son dieu unique, a bouleversé nos croyances, créant une subdivision entre le bien et le mal et une perte des valeurs traditionnelles. La pièce s’inspire de la chanson « Nakomitunaka » de Kiamwangana Verckys, qui porte un regard critique sur les récits religieux imposés aux populations africaines. Dans ce spectacle, les statues et les masques africains, qui ont été exposés comme des curiosités dans les musées occidentaux, sont libérés et incarnés. Des versets bibliques et des croix coexistent avec des traditions africaines, tandis que des danseurs de Goma, chacun avec son style unique (Rega, Tembo, Shi, Hunde), enrichissent la chorégraphie que j’ai créé avec leurs formes traditionnelles. De nombreuses statues et objets de culte ont été rapportés du Congo en Belgique et exposés dans des musées, ce que j’illustre en disant : « Les dieux sont pris au piège ». Le spectacle explore les tensions entre ces deux mondes religieux, leurs significations et leur impact contemporain. Les costumes, inspirés du mingaji en raphia, symbolisent le transfert de pouvoir, tandis que les masques, fabriqués par Precy numbi, et les projections visuelles liées au christianisme dépeignent les conflits entre les différents systèmes de croyance. La musique percutante renforce cette dualité et souligne le pouvoir des traditions africaines dans le cadre de l’héritage colonial. Bien que la danse soit basée sur des formes traditionnelles, l’objectif n’est pas de les imiter, mais de les utiliser comme un cadre de référence qui influence le langage formel et ma chorégraphie.
« Emprisoned God » est né d’un besoin profond de parler de l’enfermement pas seulement physique, mais aussi mental, social, spirituel. C’est une création qui parle de nos luttes intérieures, de nos contradictions, et de cette lumière qu’on porte malgré tout. J’ai voulu créer une pièce qui mêle la force brute du mouvement avec une poésie visuelle, presque spirituelle. C’est une façon d’élever la danse vers quelque chose de plus universel.

TA : Quels sont tes ressentis après cette première tournée ?

LK : C’est beaucoup d’émotions. Voir comment le public a réagi, sentir que le message passe, que ça touche les gens, c’est puissant. Chaque ville, chaque scène, c’était une énergie différente. Il y a eu de la fatigue bien sûr, mais surtout beaucoup de gratitude. On a semé quelque chose, maintenant on va continuer à faire pousser.

TA : Pourquoi avoir associé les danseurs de Goma ?

LK : Pour commencer, moi même je suis originaire de Goma. C’est une ville qui m’inspire beaucoup depuis mon jeune âge, mon art commence là-bas en vrai mais aussi j’ai même dansé avec ses artistes avec qui j’ai collaboré depuis enfance. Donc à part la danse, nous sommes une famille. Notre amitié n’a pas commencé sur scène. Goma, c’est une ville qui vit des choses très dures, mais les artistes là-bas ont un feu que je trouve rare. Les inclure dans le projet, c’était aussi une manière de créer un pont, de valoriser leur talent à l’international et de montrer que l’art peut naître dans des endroits qu’on oublie trop souvent.

T.A : Parle-nous de la prochaine tournée ?

LK : On a prévu quelque chose de plus grand, avec de nouvelles dates, peut-être de nouvelles scènes à explorer aussi. On veut aller plus loin dans la scénographie, dans l’émotion, dans le message. Et surtout, on veut continuer à faire voyager cette énergie, ce cri artistique, partout où il pourra résonner.

TA : En Afrique ? Ça va tourner ?

LK : Oui, c’est essentiel. Revenir jouer en Afrique, ce n’est pas juste symbolique, c’est vital. On veut partager ce projet là où il a puisé sa source. Goma, Kinshasa, Dakar, Abidjan et autres… ce sont des lieux qui nous parlent, qui font partie de notre ADN. Mon équipe de production travaille pour que ça se réalise, et on fera tout pour que cette tournée africaine ait lieu, en tout cas je croise les doigts .

A propos de l'auteur

Par: David KASI

David KASI est consultant en Communication et Journaliste indépendant, spécialisé en culture, arts, sport et société. Il travaille aussi dans la presse écrite et collabore avec des médias internationaux en tant que free-lance. Également, il est photo-journaliste.
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