Chronique : Feski 2025, Goma a-t-elle vraiment besoin d’une star internationale pour vibrer ?

La première édition du Festival Social du Kivu, le FESKI, a posé une question qui résonnait comme un défi dans l’air de Goma : l’effervescence festive dépend-elle encore d’un nom étranger pour attirer les foules ? Du 10 au 12 octobre, l’événement a offert une réponse et, disons-le, plein de panache local.

L’ambition des organisateurs était noble : une programmation 100% locale ou régionale, mettant notamment à l’honneur les talents de Bukavu voisine. Mais, comme une toute première expérience , le coup d’envoi du vendredi fut une leçon d’humilité. L’atmosphère était celle d’une première prise de contact, intime, peut-être trop. Une poignée de fidèles, quelques curieux, plus occupés par la finale du tournoi de billard ou les stands de boissons, regardaient les artistes défiler surr la scène.
Pourtant, sous cette relative tiédeur, des étincelles jaillissaient. Des noms comme Willow Miller, Yosh B, The Mingongo ou Afande Ready ont prouvé que le vivier local n’était pas en manque de matière. Le public n’était pas au rendez-vous, mais le niveau des prestations, lui, ouvrait déjà une promesse pour le week-end. Le bénéfice du doute, c’est aussi la patience que l’on accorde à ceux qui osent.
Lameck et son armée ont assuré !
Les échos médiatiques du premier jour ont joué leur rôle d’appel, et le samedi, l’histoire a changé de ton. Le public s’est massé, l’attente était palpable, notamment pour Lydia Mandaka. La désormais ancienne queen vidéo, attendue pour sa première grande scène, n’a malheureusement pas converti son capital popularité. Son énergie et ses déhanchés ont fait rugir les fans, mais son passage en play-back, entaché d’incohérences vocales, a laissé un goût d’inachevé.

Mais, le véritable maître de cérémonie de cette soirée fut sans conteste Lameck Mwalimu. Le rappeur a réédité son coup de maître du Foyer Culturel. Le site était à moitié rempli par son armée, « gang of east », reconnaissable à son « dress code » (style vestimentaire) rouge et noir. Plus qu’un concert, c’était une communion : Lameck lançait le refrain, et sa « foule » enchaînait. Une symbiose artiste-public, une réelle identité artistique qui se popularise, offrant l’une des connexions les plus puissantes vues récemment sur la scène de Goma. STINO Lanc’art, « l’artiste présidentiel », a surfé sur cette vague, clôturant la soirée avec la même flamme et interprétant en live des morceaux de son album « Je suis béni », dont l’incontournable « Honorable » (feat. Héritier Watanabe).

Dimanche, le site était plein dès le début de soirée. Les astres étaient alignés : jour de détente, programmation alléchante et, surtout, l’effet « débat sur la toile » qui avait poussé les festivaliers à venir vérifier en personne. Sugar Igaufe a démontré une base de fans fervente. Puis, DOGO Browny, le prodige du rap du Kivu, a mis la foule à ses pieds. Avec une énergie scénique dévorante et une maîtrise affûtée de ses punchlines, il a confirmé que l’avenir du hip-hop local est entre de bonnes mains. En revanche, le baptême du feu fut difficile pour les stars de TikTok, Ok’s Richard et Jay Jay, dont la notoriété numérique (plus d’un million d’abonnés chacun) n’a pas suffit pour masquer de sérieuses lacunes scéniques, que même BRK Beats n’a pu combler.
La soirée s’est illuminée avec l’arrivée de Capita Amon. Le musicien de Bukavu, très aimé pour ses thèmes communautaires et ses paroles simples, a offert une performance où tout le monde chantait, tout le monde dansait. C’était le « Kivu autrement » rêvé par les organisateurs. Le doyen Mack El Sambo a apporté une touche reggaeton avant que BFM Monster (avec D Black) ne prépare le terrain pour le très attendu Sisco Raga. Le protégé de Francine Kaboya Tshatsha a déroulé une mise en scène dont lui seul a le secret, mêlant émotion, message et danse, plongeant les mélomanes dans le « mood iko bien ».

Bargoss, la progression à saluer
La grande tête d’affiche, l’artiste local hissé au rang de star, était Bargoss. Régulièrement critiqué pour ses productions live, Irbajo a pris les remarques à cœur. Il s’est surpassé. Attendue de pied ferme, sa performance a clôturé le FESKI sur une note mémorable, dansante et émotive. Sa voix, en parfaite harmonie avec ses musiciens, et son attitude scénique soignée, ont prouvé que le désir d’être l’artiste complet que Goma et le Kivu attendent de lui est plus fort que jamais encré en lui et son équipe.

Le Festival Social du Kivu était un pari, et les organisateurs l’ont gagné. Le FESKI a prouvé, par l’union, la volonté et l’abnégation, que Goma peut organiser un événement culturel majeur, capable d’attirer une foule immense dans une ambiance conviviale, en s’appuyant uniquement sur ses forces vives.
Non, Goma n’a plus besoin d’une star internationale pour attirer un public. Elle a besoin de soutenir, de former et de célébrer ses propres stars. Le FESKI est un jalon, un message fort envoyé aux autres producteurs : la culture et les arts de Goma peuvent continuer à véhiculer, par eux-mêmes, la résilience, la quête de la paix et le développement régional.
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