Jenny Paria – « Jibu »: un EP percutant et des punchlines à hérisser les poils (debrief)

Depuis le 19 juillet, Jenny Paria fait la loi sur diverses plate-formes, notamment YouTube où son tout premier Extented Play mène la danse dans l’industrie gomatracienne. L’EP « Jibu » c’est le nouveau projet grandeur nature du rapeur originaire du Nord-Kivu, composé de 8 titres (7 + générique) et surtout envahi des punchlines à faire frémir.
Que retenir de « Jibu » ?
Rien que pour en avoir pris connaissance, il ressort de cette œuvre une certaine idée originale, à la fois d’explorations et de révélations. Le tout, dans une sorte de revendication identitaire d’un africain nostalgique de ses dieux. Un EP-révélation qui est venu répondre à des questions existentielles.
Par « Twende uko ku pata jibu« , Jenny Paria embarque ses interlocuteurs, mieux ses fans dans un voyage de pensées intéressant à l’issue duquel, plusieurs questions auront trouvé peut-être des réponses. Une véritable randonnée d’idées et pensées. Au total, 8 gros morceaux, forment chacune des étapes de ce pèlerinage.
Une identité artistique consolidée

Comme disait le célèbre lyriciste congolais Youssoupha, « aucun rapeur ne peut l’être sans prendre position« , Jenny Paria revendique fièrement son modèle, quoique moins rentable sur le marché. Une identité artistique soutenu dans « Mental », l’une des équations de projet, où l’artiste affirme à cor et à cri que « je suis le meilleur rapeur mais pas le plus rentable ». Une prétention plutôt calibrée pour celui qui avoue dans « Image foutue » que « j’ai peur d’être grand ».
« Être Dieu quelques minutes »
C’est l’un des titres intéressants de l’EP « Jibu ». Dans la même ligne droite que d’autres, le tube « Être Dieu quelques minutes » vient répondre à des questions, tout en caressant le monde illusoire.
Jenny Paria y peint un monde utopique, idéal, chimérique où tout le monde y trouve sa place, assez aisément. Un monde où « faire l’amour ne sera qu’un désir et non un péché« , ou encore celui dans lequel « Zemmour sera noir« . Oui ce monde où un jour il y aura à donner à tout le monde, même de « l’héritage aux paresseux » ou « une bonne santé pour les fumeurs. »
« Mental » de résistant
Il ne s’agit en rien du « mental de résistant » de Grand Corps Malade, mais la pensée est presqu’uniforme. Jenny Paria, dans ce morceau au rap sec déroule le message d’un rapeur engagé et désintéressé par la tendance, préférant rester ce qu’il est plutôt que de se créer un public de substitution en trahissant sa musique « dans un monde où les amateurs s’improvisent en masse dans le game. »
Panafricaniste dans l’âme, Jenny n’a pas manqué d’adresser quelques messages à certains occidentaux qu’il considère jusqu’à maintenant comme pionniers du malheur africain. D’un ton incisif, il s’en est d’abord pris à Sarkozy, l’assassin de Khadaffi, puis à une cour Pénale Internationale rien qu’aux africains, sans oublier l’actuel président français Emmanuel Macron. Mais, une chose est sûre, confesse-t-il, « Je n’ai rien contre les racistes puisqu’il y a des noirs que je déteste« .
« Malheur » : la détresse d’un rappeur non récompensé
Dans cette chanson mélancolique, l’artiste décrie l’impression d’avoir tout donner sans rien retirer en retour. Ce rapeur affirmé, bourré de principes qui a l’impression de vivre un enfer dans un océan de malheurs, dans un monde où « ce sont les démons qui brillent, et les dieux qui prient« .
Une souffrance tellement forte que la distance entre la résilience et la résignation s’est considérablement rétrecies. L’abandon d’un passionné qui a renoncé à ses passions au nom de la survie, qui a troqué ses valeurs pour de l’argent.
« Folie » : l’extravagance

Comme l’indique le titre, c’est l’image de ce rapeur extravagant, totalement échevelé qui se pose des questions un peu « bidon« , mais pourtant existentielles. À l’image du « pourquoi exister sans vivre ? » du début de cette chanson vivante, remplie des punchlines totalement déliées les unes des autres.
Dans ce morceau à la sauce plus radiophonique, Jenny Paria explore le monde en l’envers afin de trouver des réponses à des questions que l’on ne se pose pas, telles que le « Pourquoi ne pas remercier l’échec…? » et bien d’autres. Et même dans ses délires, l’artiste n’a pas oublié d’en mettre une ou deux aux pilleurs d’Afrique. « L’Afrique est pauvre, mais l’Afrique enrichit les colons« , s’alarme-t-il. « On protège les arbres du Congo, on s’en fout de ses habitants », s’est-il étonné ensuite, avant de rentrer sa folie : » j’irai faire des folies… », histoire de se décontracter.
« Rendez-nous nos dieux » : l’heure des comptes
Animé d’un esprit de révolte, dans cette chanson, Jenny Paria s’offre en véritable panafricaniste révolutionnaire pour qui l’identité culturelle de l’Afrique est à retrouver. À retrouver, pas plus loin que dans les musées et les livres d’histoire des pays européens où plusieurs biens du domaines culturel et historique africain restent enfouis.
Par « Rendez-nous nos dieux« , le rappeur originaire de Goma a, héroïquement, sans peur d’être qualifié de « balance« , relayé le combat de toujours de tous les panafricanistes convaincus. Mieux encore, il a quasiment passé au tamis les affres laissées par la colonisation agressive des États africains.
C’est l’un des rares titres de « Jibu » déjà clipés, dans lequel plusieurs noms des leaders africains reviennent avec insistance. Des leaders dont on ne parle malheureusement pas assez dans les cours d’histoire aux saveurs occidentales distillés dans les écoles africaines. Un contraste que Jenny Paria ne digère sans doute pas.
« Mobali » : la résilience

Rien que par « Mwana mobali alelaka te – Un homme ne pleure pas« , Jenny Paria, à travers la chanson « Mobali » envoie un message de résilience à tous les hommes, malgré les dures épreuves.
Un petit mémento où l’artiste revient sur son passé de galère, ses peines, ses instants de disgrâce et surtout ces moments affligeants où « rentrer à pieds c’était mon sport« , autant « on était très pauvre« . Le plus inspirant dans cette belle histoire est que Jenny Paria s’en est sorti forgé. « N’attends rien des autres, attends tout de toi« , conseille-t-il alors à tout ceux qui passent plus de temps à s’apitoyer sur leurs sorts, plutôt qu’à défier « ce foutu monde sans cœur », tel qu’il en fait la description dans « Image foutue ».
Au total, c’est un voyage en 8 étapes ( 8 chansons) sur lequel Jenny Paria embarque le monde (dans son monde à lui). Ce monde où les questions existentielles, parfois même celles qu’on ignore ou décide d’ignorer trouvent des réponses. L’EP « Jibu » est disponible sur YouTube et diverses autres plate-formes.
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