Chronique : cher Maire de Goma, rendez nous notre Festival Amani !
Comme le cheveux dans la soupe prête à être servie, l’interdiction de la tenue du 10e anniversaire du plus grand festival en Afrique Centrale, le festival Amani, par le Maire de Goma, n’a pas été au goût de plus d’un. Une décision qui ne fait que tuer à petit feu la culture et les arts de la ville touristique du Congo.
La verdure, le grand espace et l’air frais du lac Kivu au village Ihusi n’attendaient que plus de 30 000 personnes du vendredi au dimanche prochain avant qu’un communiqué, signé par le Maire de la ville de Goma, ne vienne troubler les préparatifs, qui étaient dans les derniers détails. « …la mairie de Goma n’étant pas informée d’une quelconque velléité sur l’organisation d’une activité culturelle, le Festival Amani n’est pas autorisé au lieu et date tel que prévu par les organisateurs pour des raisons d’ordre sécuritaire », lit-on dans la correspondance qui a interdit, par la même occasion, une « série de manifestions populaires projetées à partir de ce mercredi 13 novembre 2024 organisée par le Mouvement citoyen « Mouvement National Congolais » », qui luttait pour l’annulation de cet événement culturel grandeur nature.
Les réactions n’ont pas tardé à se faire entendre au sein de la population locale et les acteurs culturels de la place, qui trouvent dans cette décision une énième fois de rendre la ville de Goma invivable et de salir sa réputation artistique au niveau national et international. « Il est grand temps que les acteurs culturels de Goma se rassemblent pour sauver notre secteur. Il y a trop d’abus et de dérives : la culture ne peut pas être tenue responsable des coûts de sécurité, comme si elle était directement liée aux conflits dans l’Est du Congo », a par exemple écrit la journaliste culturelle Francine Kaboya Tshatsha pour montrer son indignation. « Organiser un événement tel que Amani Festival demande de l’énergie, du sacrifice, du temps, de l’argent, la gestion du stress pendant des mois, des concessions parfois humiliantes, et par dessus tout, l’amour de sa ville! », a tenu à rappeler de son côté Yves Kalwira, opérateur et chroniqueur culturel. « Inconcevable de se réveiller un matin, et multiplier le tout par zéro. »
« Il peut revenir sur sa décision et nous lui serons gré »
Cette 10 édition du festival Amani devrait normalement se tenir depuis le mois de février dernier. Elle a été repoussée au mois de juin de cette année pour les mêmes causes liées à l’insécurité. En milieu d’année, rien ne s’était amélioré et les organisateurs ont trouvé une brèche favorable pour ce mois de novembre. Ils se sont inspirés de la tendance d’accalmie qui règne actuellement et des autres activités, sportives et artistiques, qui se sont déroulées dernièrement à Goma et qui ont réuni de milliers de personnes. Pour les membres du collectif Goma Slam Session, cette interdiction du Maire est « un désir d’étouffement de la seule vitrine par laquelle Goma montre son désir de paix et de vie durant cette période douloureuse de guerre. Tuer la culture d’un peuple est la dernière option pour l’effacer complètement ». Par conséquent, ils demandent au Maire « de ne pas tomber dans le piège mortifère d’éteindre Goma même dans les petites chaleurs de ses cendres. Il peut revenir sur sa décision, et nous lui en saurons gré ».
Pour ce 10e anniversaire du festival Amani, comme les précédentes éditions, c’est plus de 400 bénévoles qui se réunissent dans plusieurs commissions pour sa réussite, c’est plus de 36 000 personnes qui s’unissent durant les 3 jours de concerts pour faire de plaidoyer pour la paix, pour danser et chanter, c’est une occasion pour les artistes locaux de partager une scène avec les grandes stars internationales que le festival invite chaque année, c’est une occasion unique pour faire grimper les recettes de l’Etat suite aux dépenses effectuées par les invités de marques et les étrangers venus assister à cet événement, c’est plus de 100 médias nationaux et internationaux qui couvrent l’événement, c’est 5 entrepreneurs qui sont primés pour leurs idées d’entreprises… « C’est un manque de respect [ annulation du festival ] pour les festivaliers de Goma. C’est une honte face aux invités nationaux et internationaux. Ambassadeurs et amoureux de Goma de partout qui sont déjà dans la ville pour ce festival », pense Rodriguez Katsuva, journaliste et influenceur médias sociaux.
« J’ai envie de dire que le Festival Amani, pour cette année, c’est 10 ans de courage parce que continuer à tenir un festival dans ce contexte, malgré les difficultés, il faut quand même reconnaître que 500 et plus de bénévoles ont eu résilience exceptionnelle », a d’ailleurs souligné Vianney Bisimwa, PCA du Festival Amani en conférence de presse. « Le festival Amani est une contribution, une petite goûte dans le grand océan pour le retour de la paix ».
Et si c’était la goûte qui fait déborder le vase ? Vers une révolution des acteurs culturels locaux ? C’est vraiment ce qu’on peut penser en lisant l’acharnement du danseur congolais Faraja Batumike, sur ses réseaux sociaux : « Chers artistes, je crois qu’il est temps qu’on lève nos voix aussi sur ce problème qui touche à notre secteur car c’est à nos vies privées et l’avenir de nos enfants que ça touche aussi ». A lui de continuer : « Annuler nos événements culturels, c’est détruire le développement du secteur culturel à Goma, c’est briser les rêves des plusieurs jeunes et détruire les carrières d’un grand nombre mais aussi c’est nous empêcher de vivre de notre art ».
Pour leur part, les organisateurs du Festival Amani n’ont pas encore réagi officiellement sur la décision du Maire de Goma, eux, qui l’ont informé sur la tenue de cette 10 édition depuis le mois d’août dernier avec l’accusé de réception de l’hôtel de ville.
Comme on l’a bien compris depuis plusieurs années maintenant, à Goma et au Nord-Kivu, l’art et la culture restent les dernières grandes armes pour la paix dans une région où les politiques et les guerres à répétions n’ont pas réussi depuis plus de 30 ans maintenant.
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