Tribune : 64 ans après, la RDC n’est toujours pas un État
Un État, qu’est-ce que c’est ?
Il n’y a pas de définition exacte d’un État. Mais, la plus réaliste à notre goût c’est celle pondue par Max Weber pour qui, l’État se traduit principalement par sa capacité à revendiquer avec succès le monopole de la contrainte légitime. Il est donc illusoire de se représenter un État sans cet attribut majeur (le monopole de la contrainte).
Le sens même de l’État réside au fait qu’il doit être le seul à en détenir le monopole. Fort malheureusement, dans plusieurs quasi-Etats, si l’on emprunte le concept de Robert Jackson, la violence légitime est concurrentielle ou partagée. Plusieurs groupes armés qui y pullulent se substituent, illégalement à l’État, qui ne s’avère pas moins déficitaire qu’incapacitaire. Il serait scientifiquement malhonnête de ne pas placer la République Démocratique du Congo, notre cher et beau pays dans ce cercle « d’États non États ».
La RDC n’existe pas !
Entant que Politologue, notre conception de l’existence d’un État est en total déphasage avec celle d’un juriste par exemple. Du point de vue juridique, de par sa reconnaissance internationale et son institutionnalisation, la RDC existe. Une acception qui ne versifie en rien avec la thèse politologique de l’existence d’un État.
Le premier élément qui témoigne de la non existence de la RDC réside au niveau de la relativisation de sa souveraineté, sur son propre territoire. Or, un État, qui se dit en être un, doit asseoir sa souveraineté sur son territoire. Depuis trois décennies, le pays voit sa souveraineté être remise en cause par des centaines de groupes armés, qui deviennent également dépositaire de l’autorité dans les zones sous leur contrôle. Ces forces négatives se substituent à l’Etat et se livrent aux mêmes activités que celles de l’État. En d’autres termes, ils gouvernent les pans du territoire congolais en leur possession.
Cette remise en cause par le « bas », renvoie à une sorte des États dans un Etat. C’est à dire qu’au sein de l’État congolais se meuvent d’autres États qui revendiquent également avec succès, certes illégalement, le monopole de la contrainte dans les zones qu’ils contrôlent. Ces groupes armes se dotent des administrations, qui gèrent au quotidien la marche des territoires conquis. Par conséquent, Kinshasa n’y a plus d’autorité.
Une souveraineté partagée
C’est à partir de ce constat que la mauvaise blague qui postule que « la RDC ne réunit pas tous les papiers pour être un pays » tient tout son poids. La souveraineté est la véritable carte d’identité d’un État, d’autant plus que ce dernier est censé ne pas la concéder, ni la partager avec qui que ce soit.
La souveraineté d’un État se veut être une constante qui est soumise à une affirmation perpétuelle. Pour s’assurer de son existence, ou alors sa persistance face à des menaces de touts bords, un État se questionne au quotidien sur le monopole de sa souveraineté. L’armée et tout l’appareil sécuritaire s’assurent de l’inexistence d’aucun autre concurrent de l’État souverain sur son propre territoire. Le fait est que la RDC, à l’heure où nous griffonnons ce texte, connait à lui seul plus d’une centaine de concurrents sur son propre territoire. La souveraineté de l’État congolais est donc largement remise en cause par le bas.
Une indépendance tronquée et bâclée
Il est simplement jouissif de constater comment l’opinion congolaise, dont bizarrement les intellectuels se persuadent, à tort bien-sûr, que la RDC est un pays indépendant depuis 64 ans. Quelle naïveté intellectuelle !
Admettons que l’Etat congolais a existé à un moment, notamment lorsque le président Mobutu avait rompu d’avec tout ce qui s’apparentait aux colons. En ce temps-là, il n’y avait presque pas des pans du territoire congolais sous administration d’une force autre que l’État. Ce dernier facteur, qui reste, comme nous l’avons démontré ci-haut, « implacable » pouvait confirmer l’existence de l’Etat du Zaïre. Ce qui n’est pas du tout le cas de la République Démocratique du Congo.
« Est-ce que nous sommes vraiment dans un État ? » , s’interrogent plusieurs congolais, généralement à chaque fois qu’une anormalité qui peut faire appel à la réaction de l’État se pose. Le simple fait de s’imaginer que quelque part en RDC, il y a des forces négatives qui font la loi, renvoie à des interrogations sur l’existence « réelle » de l’État congolais. Or, la mission régalienne d’un État, c’est d’abord assurer la protection de sa population. À partir du moment où il n’y arrive plus, il cesse d’exister.
64 ans après avoir dansé au rythme de « Lipanda », l’on se rend compte qu’on a rien. À part peut-être les chimères factices d’une indépendance de façade. Et pour bien se désillusionner, 64 ans après, les mêmes thématiques sont animées chaque 30 Juin. Tout tourne autour du « Sommes-nous vraiment indépendants ? », Un peu comme si Patrici Emery Lumumba n’avait rien fait du tout.
Évidemment que l’indépendance tapageusement revendiquée en 1960 n’était pas plus qu’un coup d’épée dans l’eau. Mieux encore, c’était le début de la fin de la naissance d’un nouvel État. Il ne fallait donc pas jeter des pierres à René Dumont, pour qui les nouveaux États africains étaient déjà mal barrés, dès la signature des actes des indépendances. Sauf que, dans la verve de cette « révolution émotionnelle », les indepentistes africains ne pouvaient en rien admettre cette évidence.
Un legs empoisonné que leurs fils et petits-fils hériteront, tout en maudissant laconiquement leurs ancêtres. La sincérité de l’actuel président de l’Assemblée Nationale illustre ce sentiment d’échec et d’incompétence collective. « Les Belges nous ont laissé un paradis que nous avons transformé en poubelle ».
Cette indépendance acquise dans l’impréparation, la rage et les émotions a totalement bâcler le décollage d’un État congolais où détenir un diplôme de fin d’études secondaires était encore un luxe. Le système paternaliste belge ne favorisant que trop peu le développement personnel et professionnel des indigènes.
Cette solidarité mécanique des congolais épris du goût de l’indépendance, à la tête de laquelle se trouvait Patrice Lumumba, a bien creusé la tombe d’un État qu’ils pensaient faire naître. Le contraste placé par l’écrivain Jean-Pierre Charbonneau n’est donc pas faux. « Le peuple n’a pas systématiquement raison à chaque fois qu’il se soulève. Il peut arriver qu’il ait tort. Les révolutions émotionnelles accouchent souvent des décisions irrationnelles ».
Voilà pourquoi la RDC ne se reconnaît plus aujourd’hui. Le pays croit avoir 64 ans, mais dans le concret, il ne réunit même pas les attributs d’un État souverain. L’admettre, en toute humilité, serait la première étape d’une révolution pour la naissance d’un vrai État. Celui qui protège et qui se protège à la fois. Celui qui nourrit et qui effraie. Celui qui étouffe toute la concurrence et qui convainc. Bref un État qui existe.
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